Dans une récente étude, l’Autorité des Marchés Financiers s’inquiétait de l’expansion de la cybercriminalité et de son impact sur la sphère boursière[1].

Etaient notamment dans le viseur de l’AMF, les arnaques aux bitcoins ou encore les cyberattaques visant les plateformes d’échanges de cryptomonnaies.

Cette cybercriminalité serait l’une des formes de criminalité les plus coûteuses au monde et représenterait 0,5 % du PIB mondial.[2]

Pourtant, les cryptomonnaies suscitent l’intérêt croissant des particuliers à raison des potentialités de gains qu’elles laissent entrevoir mais aussi du fait qu’elles échappent à toute régulation étatique. Néanmoins, la forte volatilité des cours et surtout, les agissements frauduleux, notamment dans le cadre de l’émission de cryptomonnaies alternatives (altcoins), engendrent de nombreux déboires pour les petits investisseurs.

Soucieuse de protéger les investisseurs, l’AMF vient de publier ses recommandations et mises en garde des consommateurs, ainsi qu’une liste noire des sites Internet proposant des cryptomonnaies à la vente.

Les cryptomonnaies représentent donc un enjeu majeur pour les marchés financiers et l’économie mais constituent un réel casse-tête en l’absence de statut juridique.

En effet, les cryptomonnaies sont des actifs numériques virtuels qui reposent sur la technologie de la blockchain à travers un protocole informatique crypté.

Un crypto-actif n’est donc ni, à proprement parler, une monnaie (sa valeur étant déterminée en fonction de l’offre et de la demande, sans l’intervention d’une banque centrale) ni un instrument financier.

Face à l’émergence exponentielle de nouveaux cryptoactifs[3], on ne peut que féliciter l’initiative du législateur français, précurseur en la matière, d’encadrer les activités liées aux actifs numériques.

La loi Pacte[4] a ainsi posé le premier jalon dans la reconnaissance juridique des monnaies électroniques en donnant une définition générale des actifs numériques :

« Toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement. » (Art. L. 54-10-1 du Code Monétaire et Financier).

Tout prestataire intervenant dans le domaine des actifs numériques devra également se soumettre à un corpus de règles prédéfini par le Code Monétaire et Financier et sera placé sous le giron de l’Autorité des Marchés Financiers.

La récente publication des instructions de l’AMF[5] venant compléter le socle législatif, est l’occasion de revenir sur le nouveau statut juridique des prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) ainsi que sur les formalités à accomplir en tant que prestataire exerçant en France.

  • Un nouveau statut pour les prestataires de services sur actifs numériques

Transposée à l’article L. 54-10-2 du Code monétaire et financier, la loi PACTE définit la notion de prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) comme celui qui exerce l’un des services suivants :

« 1° Le service de conservation pour le compte de tiers d’actifs numériques ou d’accès à des actifs numériques, le cas échéant sous la forme de clés cryptographiques privées, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques ;


2° Le service d’achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal ;


3° Le service d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques ;


4° L’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques ;


5° Les services suivants :


  1. a) La réception et la transmission d’ordres sur actifs numériques pour le compte de tiers ;
  2. b) La gestion de portefeuille d’actifs numériques pour le compte de tiers ;
  3. c) Le conseil aux souscripteurs d’actifs numériques ;
  4. d) La prise ferme d’actifs numériques ;
  5. e) Le placement garanti d’actifs numériques ;
  6. f) Le placement non garanti d’actifs numériques. »

Afin de montrer patte blanche et attirer les investisseurs, les prestataires de services sur actifs numériques pourront solliciter l’enregistrement auprès de l’AMF et/ou l’agrément optionnel de l’AMF.

 

 

 

 

 

  • L’enregistrement auprès de l’AMF

 

  • Quels services sont soumis à l’enregistrement obligatoire ?

Devront impérativement s’enregistrer auprès de l’AMF, les prestataires qui exercent les activités suivantes :

  • La conservation d’actifs numériques ;
  • L’achat et/ou la vente d’actifs numériques contre une monnaie ayant un cours légal.

  • Comment s’enregistrer ?

L’article D. 54-10-2 du Code monétaire et financier et l’instruction AMF 2019-23 précisent que tout prestataire souhaitant s’enregistrer devra déposer un dossier d’enregistrement auprès de l’AMF.

Il devra ainsi fournir une série d’informations détaillées portant notamment sur l’identité de ses dirigeants et de son actionnariat[6], sur leurs compétences et sur leur honorabilité.

Les dirigeants de la société demanderesse devront, entre autres, justifier d’une expérience d’au moins six mois dans le domaine des actifs numériques ou d’une formation équivalente.

Ils devront également respecter des conditions d’honorabilité et n’avoir jamais fait l’objet d’une interdiction prévue à l’article L. 500-1 du Code Monétaire et Financier.

  • Quelles sont les mesures prévues en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ?

Tout demandeur à l’enregistrement devra également être vigilant à se conformer à la réglementation en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Il devra justifier auprès de l’AMF des mesures internes et externes mises en place en ce sens et fournir un programme détaillé de son activité (clientèle visée, canaux de distribution envisagés, adéquation de son programme de lutte contre le blanchiment d’argent et de financement du terrorisme…).

En ce sens, le PSAN devra également détailler les modalités d’identification de ses clients (qu’ils soient occasionnels ou réguliers) et les mesures mises en place pour détecter des opérations suspectes.

Sont notamment visées les opérations supérieures à 1.000 € et celles dont le demandeur sait ou soupçonne (ou a de bonnes raisons de soupçonner) qu’elles proviennent d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou qui participent au financement du terrorisme.

Toute opération suspecte doit donner lieu à une déclaration TRACFIN ; le demandeur devant ainsi fournir, lors de l’enregistrement, les noms et contacts de ses correspondants TRACFIN ainsi que les dispositifs mis en place pour éventuellement geler les avoirs.

Il convient de préciser que le recours à des sous-traitants ne délie pas le prestataire de ses obligations, ce dernier restant seul garant, vis-à-vis de l’AMF, du respect des obligations en matière de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

  • Quels délais ?

L’AMF dispose d’un délai de six mois à compter du dépôt du dossier complet, pour rendre sa décision.

Durant cette période, l’AMF sollicitera l’avis de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution, afin de s’assurer que le prestataire remplit les conditions d’honorabilité et de compétence pour exercer l’activité visée mais également l’adéquation des procédures de contrôle interne.

  • Le visa optionnel de l’AMF

Gage de sérieux, le visa optionnel peut être octroyé pour un grand nombre d’activités comme la conservation d’actifs numériques pour le compte de tiers, l’achat/vente d’actifs numériques contre une monnaie ayant un cours légal, l’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques…

Les prestataires qui sollicitent cet agrément seront placés sous la supervision de l’AMF.

La procédure d’agrément auprès de l’AMF est similaire à celle de l’enregistrement et prend la forme d’un dépôt de dossier.

Toutefois, le PSAN qui souhaite obtenir ce fameux sésame devra justifier de la mise en place de contrôles renforcés afin d’assurer la sécurité des opérations projetées (dispositif de contrôle interne, sécurité informatique résiliente, programme d’activité sur les deux prochaines années etc.)

De plus, le demandeur devra justifier, soit d’une attestation d’assurance et de responsabilité civile professionnelle, soit de fonds propres minimums.

Le prestataire sollicitant l’agrément devra également publier régulièrement sur son site Internet le volume des transactions réalisées et le prix moyen des transactions dans un souci de transparence des opérations relatives aux actifs numériques.

Cette publication devra intervenir au plus tard le 2ème jour ouvré du trimestre suivant.

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A l’issue de ces procédures, l’AMF publiera la liste des opérateurs agrées ou enregistrés, gage de sécurité pour les investisseurs.

A noter que les opérateurs déjà présents sur le marché des actifs numériques ont un an pour se conformer aux nouvelles obligations mises en place par la loi PACTE.

En ce sens, le premier enregistrement PSAN a été délivré par l’Autorité des Marchés Financiers en mars 2020.

[1] Etude publiée le 14 février 2020 par l’AMF ;

[2] Etude de l’AMF intitulée « La cybercriminalité boursière : définition, cas et perspectives » publiée le 10 octobre 2019 et disponible ici.

[3] L’AMF en dénombre à ce jour 1.300, dont les plus connus sont le bitcoin, le ripple, l’ether, le litecoin, le nem et le dash.

[4] La loi 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises (dite « loi PACTE ») entrée en vigueur le 24 mai 2019 et complétée par les décrets d’application 2019-1213 et 2019-1248 ;

[5] Instructions AMF 2019-23 et 2019-24.

[6] Sont visés les dirigeants effectifs de la société demanderesse ou les personnes physiques qui (i) détiennent plus de 25 % du capital ou des droits de vote ou (ii) exercent un contrôle au sens des 3° et 4° de l’Art. L.233-3 du Code de commerce